#1 : Les Petits Blancs – Aymeric Patricot
- Cyril Andrieux
- 24 nov. 2017
- 4 min de lecture
Pour ma première chronique, j’ai décidé de vous parler d’un livre qui m’a poussé à la réflexion sur une catégorie de personne que l’on veut taire.
Dès les premières lignes de cette enquête, on peut percevoir la volonté de l’auteur d’aller à la rencontre de ces gens. Mais quel gens me direz-vous ? Les Petits Blancs. Cette catégorie de gens qui se sent abandonnée par la classe politique et qui représente le désarroi de toute une population. A coup de rencontre avec des personnalités aussi diverses que variées, l’auteur arrive à nous montrer les rouages d’une classe que l’on essaye de nous cacher. Marginalisée, celle-ci n’arrive pas à s’organiser afin de se mobiliser pour exprimer cette colère et ce ressentiment latent. De plus, la classe politique essaye de ne pas voir le problème.

En effet, une phrase prononcée pendant un entretien m’a fortement frappé car elle disait « Je suis trop pauvre pour intéresser la droite, trop blanc pour intéresser la gauche ». Avec cette phrase, les clichés nous prennent à pleine figure car cela préjuge que la droite ne s’occupe que des riches, et la gauche des personnes de couleur au nom de la mixité sociale. Cette vision assez tranchée montre bien le désarroi de cette population que se sent vraiment laissée pour compte. Se développe donc ce fameux sentiment d’abandon qui, tel un poison insidieux, vient s’introduire dans les esprits de ces gens.
L’auteur développe une idée intéressante qu’est le « White trash », expression venue des Etats-Unis qui désigne les blancs qui ne sont bon à rien si ce n’est que de rester dans leur misère sans causer de troubles. Ici, Aymeric Patricot essaye de la transposer dans le cas français, non sans réussite car à la lecture des témoignages qui peuplent cette enquête, on remarque bien que les hommes et les femmes interrogés sont désœuvrés et ne savent pas comment réagir à ce déclassement. De fait, certains se tournent vers l’alcool ou la haine de l’autre qui est particulièrement virulente chez certains individus interrogés.
Pour moi, pourtant dépourvu d’angélisme et de naïveté, cela me pousse à me poser la question suivante : « Comment un pays comme la France a bien pu laisser ce genre de situation se produire ? ». La réponse bien sûr est complexe mais je pense, et cela n’engage que moi, que le manque de vision à long terme a joué un rôle central car ces Petits Blancs, nous les trouvons dans les campagnes, les banlieues et les anciens sites industriels ; tous des secteurs abandonnés au fur et à mesure par l’Etat. Et étrangement, cela représente également le foyer de vote extrêmes le plus élevé. Citons par exemple la page 26 où l’auteur écrit « Le mot d’ordre pourrait être : « Tout sauf les modérés », accusés de ne pas comprendre les difficultés du peuple ». Il en ressort donc une vision du vote extrême qui n’est pas inintéressante à analyser. C’est donc évident que le brio de Patricot est d’avoir donné la possibilité de s’exprimer à des gens que l’on ne voulait pas entendre. Pour finir, je vous conseille vivement cette lecture car c’est un texte enrichissant qui permet de comprendre comment une classe, la fameuse « France d’en bas du sous-titre », essaye de vivre dans un climat qui lui est plus que défavorable. Certes le texte peut contenir certaines longueurs, mais cela est inhérent à un travail fouillé et de bonne facture que l’on nous présente dans ce livre.
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Au plaisir de vous retrouver le mois prochain avec un livre un peu plus léger 😉.
Mot de l’auteur :
"Partir à la découverte d’une réalité occultée Deux choses ont déclenché mon envie d’écrire ce livre, Les petits Blancs (Point Seuil, 2016). Tout d’abord la découverte, en tant que professeur en banlieue parisienne, d’une réalité française en partie occultée, celle de l’existence de Blancs pauvres, que je définis comme des gens pauvres prenant conscience de leur couleur de peau dans un contexte de métissage. Cette réalité me paraissait occultée parce qu’elle provoquait la gêne, qu’on identifiait cette thématique à l’extrême-droite, ce qui me paraît ridicule, et parce qu’elle n’entrait pas dans certaines cases idéologiques. C’est ici qu’intervient la seconde cause, décisive : la connaissance du contexte culturel américain – musique, cinéma, littérature – où le thème de la race est moins tabou qu’en France, ce qui m’a décomplexé. Je me suis alors demandé s’il existait l’équivalent français des White trash américains, ces Blancs pauvres dégénérés, objets de mépris et de moquerie. Je suis allé à la rencontre de gens qui pouvaient raisonnablement se dire « petits Blancs » (expression relativement courante en banlieue), j’ai raconté des choses vécues, j’ai tenté de saisir de ce que cette situation-là pouvait avoir de complexe. Et c’est ce qui a donné ce livre, à mi-chemin du témoignage et de l’essai, alternant réflexion, portraits et récits. J’ai d’abord craint que le thème du livre ne me fasse considérer comme un auteur réactionnaire. Cependant les journalistes qui ont pris le temps de lire – ce qui n’a pas toujours été le cas – ont bien compris que mon propos n’était pas politique, ou qu’il l’était dans le bon sens du terme : décrire une réalité vécue pour essayer d’en débrouiller la complexité."
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